« Dyptique » par Eurydice Trichon - Milsani, critique d'art, écrivain
Pascal Chauveau m'a dit :

« Personne ne m'a aidé dans la vie, à part mes parents. Au début ils n'étaient pas tout à fait d'accord avec mon choix pour la peinture mais j'ai su les convaincre. Encore aujourd'hui, après leur mort, ils m'assistent et je leur voue un culte de reconnaissance.
La peinture est venue très tôt dans ma vie. A l'école, j'avais des difficultés de contact et je m'ennuyais jusqu'au moment où j'ai découvert le dessin: ce fut le remède absolu.
Plus grand, je me suis jeté dans la peinture avec un énorme appétit. Mes premiers tableaux débordaient d'un trop plein d'impressions et d'exubérance. J'avais tant à dire, tant à évacuer et le tableau devenait le réceptacle de toute cette charge d'angoisses et d'espoirs. Quand on est jeune, on a peur du vide : je remplissais. Aujourd'hui, je mets un frein aux flux des sentiments et je travaille avec des matières beaucoup plus légères. Avec le temps et l'expérience, on arrive à la pureté. J'ai commencé avec peu de culture. Je cherchais un art d'inspiration classique. J'éprouvais de l'émotion devant un temple grec mais je savais aussi qu'il fallait tenir compte de la modernité. Je suis un peintre caméléon, mais ceci ne se fait jamais au détriment de la sincérité. Je fais ce que je veux, comme je veux et au moment où j'ai envie de le faire.

Je recherche l'unité dans la diversité, j'essaie de réaliser des choses variées tout en gardant une cohérence dans la démarche artistique. Je crois à l'impact du vécu. Tout peut entrer dans la peinture. L'art est nourri de vie. Marcher, parler piocher, faire la cuisine, tout est important et nourrit la sensibilité et l'imaginaire, tout contribue à la création de l'œuvre. J'ai aussi l'âme d'un collectionneur. Dans ma jeunesse, je fus philatéliste. Lassé de timbres; j'ai vendu ma collection pour me tourner ailleurs. Un événement du hasard eut un impact étrange sur ce penchant jusque là sans conséquences.

Un jour, au parvis de Beaubourg, un type qui prédisait l'avenir serrant la main des gens, après m'avoir broyé le poignet a déclaré: « Monsieur vous étiez un personnage important dans la Rome antique ». Il ne saurait pas mieux dire car depuis peu, lisant un livre sur l'Egypte, je me suis pris d'une passion dévorante pour Rome au point de penser qu'en effet j'ai dû vivre à cette époque! Dix ans sont passés depuis qui m'ont donné la possibilité d'approfondir. L'époque de Ben Hur, de cette civilisation « qui transformait le torchis en marbre » a déclenché un vrai raz-de-marée d'acquisitions.
Au début, ma vision romaine était quelque peu hollywoodienne. On sait aujourd'hui que des tas de choses passionnantes comme les luttes des gladiateurs ne correspondaient pas exactement à ce qu'on voit au cinéma... A l'époque il n'y avait pas suffisamment de richesse pour créer des spectacles somptueux tels que les péplums nous l'ont montré. Mais l'esprit était le même et cet esprit était fascinant.
Avec le temps, je suis devenu fou d'art et d'histoire romains. C'était un temps haut en couleur, il y avait la beauté le luxe et la force développés avec magnificence. J'ai décidé de faire de la reconstitution archéologique expérimentale. C'est devenu mon délire. Les costumes romains que j'ai fait faire avec beaucoup de soin plaisent au Louvre qui me harcèle pour les avoir !

Cette passion ne m'empêche pas de me donner à la peinture avec un sentiment vif de modernité. Car, malgré mes penchants, je ne suis jamais coupé de la réalité et d'une plastique qui est en rapport avec mon temps.
En essayant de me tenir au courant je regarde parfois ce qu'on montre dans les foires et je me pose la question : est-ce que ces artistes arrivent à vivre de leurs œuvres ? Est-ce qu'ils trouvent du répondant auprès du public? On les aime réellement ou c'est un effet de mode et de snobisme ?

Pour ma part, je me considère « homme du peuple ». Ma peinture est une peinture populaire. J'accorde de l'importance à la personne de la rue, je m'intéresse aussi au jugement de ceux qui ne sont pas spécialement concernés par la peinture. Je ne suis pas comme ces artistes dits « contemporains » qui ne daignent dévier de leurs obsessions élitistes et peut-être opportunistes. Quand on est professionnel il faut faire une peinture que les gens aiment avoir chez eux.
L'artiste doit répondre à la commande, être prêt à exécuter n'importe quel sujet. Il doit faire feu de tout bois. Un jour, quelqu'un m'a demandé de lui faire un tableau avec des vaches dans un pré. Je ne suis pas un peintre animalier, pourtant j'ai réussi à le faire.

J'ai cherché mes maîtres parmi les artistes du vingtième jusqu'aux années 60. J'aime les abstraits, Klee, Kandinsky. Mais les sources de ma peinture ne sont pas uniquement picturales. Je puise mon inspiration des choses qui apparemment n'ont rien à faire avec la peinture. Je suis attiré par les maîtres guerriers japonais, par la voie du samouraï par exemple. Leurs codes de conduite exercent sur moi une vraie fascination .J'ai longtemps pratiqué les arts martiaux. Dans le combat, le corps est utilisé comme un pinceau. Les guerriers étaient souvent des calligraphes, ils s'exerçaient à maîtriser leur gestuelle. Selon les grands maîtres quand on calligraphie une lettre il faut la faire d'un seul geste : si on a la moindre hésitation c'est qu'on a eu une défaillance mentale.

Le maître guerrier dans sa lutte procède comme un calligraphe. Son niveau mental détermine sa destinée, le moindre accroc peut lui être fatal. Dans l'art c'est pareil : la perfection de la forme dépend de la justesse du mouvement. Quand le geste est sûr, le signe qu'il produit possède à la fois sagesse et fraîcheur. En ce sens, "Tapies" est exemplaire : je ne connais pas d'autre artiste qui en quelques coups de crayons réussit à occuper l'espace avec une telle perfection. « Remplir » un tableau par des gestes réussis relève d'une haute logique de l'espace.

Huber Rives, l'astrophysicien, pense qu'il y a un grand lien entre un tableau et l'astrophysique. Le tableau comme le cosmos est rempli d'éléments interdépendants. On peut les accumuler jusqu'à un certain point, sinon il faut s'arrêter avant que le tout s'effondre. Pour créer l'harmonie tout doit respirer avec aise.
Je suis attaché à certains principes mais je ne suis pas systématique. Dans ma composition abstraite, je commence par créer une situation que j'essaie de développer. Je travaille avec l'aérographe et la soufflette, j'utilise des pochoirs. Je m'arrête quand j'ai réussi à créer un espace dense et rythmé. J'aime bien faire des grandes toiles, jouer avec le contraste des matières.
Peindre est pour moi un besoin viscéral. Faire des prouesses techniques, des paris avec soi-même, répondre à la commande, ce sont là des chalenges passionnants. Être plié à un thème imposé et faire des choses qu'on n'a jamais imaginé auparavant c'est difficile et enivrant à la fois. Se cantonner aux choses qu'on aime n'est pas fécond: s'en éloigner peut être très bénéfique pour le travail. Quelque soit le résultat ça améliore aussi bien la forme que la pâte.

J'ai l'habitude de réaliser de petites séries. J'utilise un thème aussi longtemps qu'il faut pour dire certaines choses. Une fois que j'ai épuisé mon inspiration je ne reviens plus jamais en arrière. C'est ennuyeux de se perpétuer ; il faut avoir le sentiment de diversifier, de découvrir du nouveau.

Mes goûts pourtant me portent toujours au classique. J'adore la sculpture, Praxitèle, les anciens, l'antiquité grecque vue et interprétée par les Romains. En mon for intérieur j'ai la certitude que l'avenir dans l'art sera le retour au canon antique. On a été trop loin dans la provocation. On a vu de tout, on a tout épuisé, on s'est trop éloigné de la véritable harmonie. Le besoin de beauté est impératif et incontournable. »

 

Eurydice Trichon - Milsani
Critique d'Art écrivain, membre de I'A.I.C.A. (Association Internationale des Critiques d'Art) « DUFY » - Au Musée National d'Art Moderne - Fernand HAZAN éditeur (Collections, les Chefs d'œuvre).
- PARIS - SORBONNE : Doctorat en histoire de l'Art. Intervenant auprès du Musée National d'Art Moderne Georges POMPIDOU. Paris.